Re : Le thread du bordel en Ukraine
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Guerre en Ukraine : la référence aux accords de Munich, un argument politique aux limites historiques
AnalyseThomas Wieder
Berlin, correspondant
Jérôme Gautheret
Alors que le camp Macron convoque le fantôme des accords de 1938 avec l’Allemagne nazie pour attaquer les tenants d’une attitude conciliante avec Moscou, ces jeux d’analogie ne mènent nulle part, met en garde le diplomate Gérard Araud.
Publié aujourd’hui à 10h27, modifié à 10h30 Temps de Lecture 7 min.
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Le chef du gouvernement français Edouard Daladier (au centre) avec Adolf Hitler, lors de la conférence de Munich, en septembre 1938.
Le chef du gouvernement français Edouard Daladier (au centre) avec Adolf Hitler, lors de la conférence de Munich, en septembre 1938. AFP« Je suis frappé par la ressemblance entre le moment que nous vivons et celui de l’entre-deux-guerres », avait déclaré Emmanuel Macron, le 1er novembre 2018, soulignant le « risque » de voir l’Europe « se démembrer par la lèpre nationaliste et être bousculée par des puissances extérieures ». Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le président de la République est toujours hanté par le souvenir de la période, mais ses références ont évolué au gré de sa politique : alors qu’en juin 2022, son appel à « ne pas humilier la Russie » était une allusion transparente au sort réservé à l’Allemagne par les vainqueurs de la première guerre mondiale, le discours qu’il a tenu à Prague, le 5 mars, exhortant ses alliés à ne pas être « lâches » face à une Russie devenue « inarrêtable », renvoie directement à l’échec de la politique d’apaisement des démocraties européennes envers le IIIe Reich. Il y a deux ans, Emmanuel Macron ne voulait pas être le Clemenceau du traité de Versailles (1919) ; désormais, il se refuse à être le Daladier des accords de Munich (1938).
Que le président français ait choisi Prague pour réveiller le spectre de Munich ne doit rien au hasard : dans la nuit du 29 au 30 septembre 1938, c’est la Tchécoslovaquie que le président du Conseil français, Edouard Daladier, et le premier ministre britannique, Neville Chamberlain, offrirent en pâture à Adolf Hitler, espérant qu’en lui permettant d’annexer la région germanophone des Sudètes, ils allaient sauver la paix. Deux années après le début de l’agression russe et alors que la situation stratégique et diplomatique de l’Ukraine s’est sensiblement dégradée depuis quelques mois, l’analogie vise très clairement à remobiliser les alliés de Kiev et à souligner la gravité du moment, dans l’espoir de conjurer le risque d’une « fatigue » des opinions publiques.
Lire aussi | Article réservé à nos abonnés A l’Assemblée, l’accord avec l’Ukraine approuvé, Gabriel Attal accuse le RN d’être « pro-Poutine »Ce faisant, le chef de l’Etat n’a fait que réactiver une référence profondément ancrée dans l’imaginaire politique français, « Munich » s’étant imposé comme « le cri de ralliement de tous ceux qui jugent immoral, inutile et contre-productif de traiter avec le diable », pour reprendre la formule de l’historien Pierre Grosser. « Hier Daladier et Chamberlain, aujourd’hui Le Pen et Orban. Les mêmes mots, les mêmes arguments, les mêmes débats. Nous sommes à Munich en 1938 », n’a ainsi pas hésité à lancer Valérie Hayer, tête de liste de la majorité présidentielle aux élections européennes, samedi 9 mars à Lille, lors de son premier meeting de campagne.
De l’après-guerre à aujourd’huiDénigrer l’adversaire en le traitant de « munichois » : dès l’après-guerre, l’argument fut abondamment utilisé dans le débat politique français, notamment en 1954 pour stigmatiser ceux qui souhaitaient négocier avec Ho Chi Minh afin d’en finir avec la guerre d’Indochine ou pour disqualifier les partisans de la Communauté européenne de défense, accusés de consentir à un dangereux réarmement allemand. Deux ans plus tard, le syndrome de Munich fut de nouveau convoqué par Guy Mollet et Anthony Eden, alors chefs des gouvernements français et britannique, lorsqu’il s’est agi de justifier l’aventureuse expédition de Suez (29 octobre-7 novembre 1956), décidée en réaction à la nationalisation du canal par Gamal Abdel Nasser : Londres et Paris craignaient, s’ils ne réagissaient pas face au dirigeant égyptien, d’alimenter une vague nationaliste antioccidentale dans le monde auvergnat avec, à la clé, le risque d’une mise en cause de l’existence d’Israël.
La référence à Munich est revenue sur le tapis au début des années 1980, lors de la crise des euromissiles, pour critiquer les pacifistes et les tenants de l’apaisement avec l’URSS, puis en 1990-1991 pour cibler les opposants à la participation de la France à la première guerre d’Irak. Au fil du temps, elle est devenue une sorte de lieu commun, allant de pair avec l’obsession française pour les années 1930. « Quand j’avais 25 ans, j’avais rencontré André Fontaine [spécialiste de relations internationales et ancien directeur du Monde]qui m’avait proposé d’écrire un article. Nous étions à la fin des années 1970, et le sujet était : Munich », se souvient avec amusement le diplomate Gérard Araud, ancien ambassadeur à Washington et à Tel-Aviv, qui a récemment consacré un brillant essai intitulé Nous étions seuls (Tallandier, 2023) dans lequel il réhabilite la politique étrangère de la France dans l’entre-deux-guerres.
Pour autant, la référence à Munich n’est pas une singularité française. « Aux Etats-Unis, elle a été omniprésente au sein du département d’Etat dès les lendemains de la seconde guerre mondiale », rappelle l’historien Fritz Taubert, professeur émérite à l’université de Bourgogne et coordinateur de l’ouvrage Le Mythe de Munich (Oldenburg Wissenschaftsverlag, 2002). De la Corée au Vietnam, les dirigeants américains ont ainsi régulièrement invoqué les accords de Munich pour justifier l’intervention militaire des Etats-Unis. A la fin des années 1990, la secrétaire d’Etat, Madeleine Albright, y a également fait plusieurs fois référence pour justifier l’intervention de l’OTAN au Kosovo, l’argument ayant dans son cas d’autant plus de poids qu’elle était née en Tchécoslovaquie en 1937, un an seulement avant la signature des accords qui scellèrent le dépeçage de son pays.
« Les populations étaient soulagées »Mobilisé également dans les débats stratégiques au Royaume-Uni, où il est toujours agréable pour un premier ministre de se couler dans les habits du contempteur des accords de 1938 que fut Winston Churchill, comme le fit Tony Blair en 2003 pour tenter de convaincre l’opinion du bien-fondé d’intervenir en Irak aux côtés des Etats-Unis, le souvenir de Munich est donc devenu, depuis 1945, une sorte de référence obligée. Pour autant, la réalité qu’est censée recouvrir le qualificatif de « munichois », synonyme à la fois de lâcheté et d’aveuglement, est-elle conforme à ce qui s’est vraiment passé à Munich les 29 et 30 septembre 1938 ? Rien n’est moins sûr.
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S’inscrireConvoquée sur proposition du dirigeant italien Benito Mussolini pour trouver une solution à la crise déclenchée par les revendications allemandes sur les Sudètes, ces régions de Tchécoslovaquie où vivait une majorité d’Allemands, la conférence de Munich a bien abouti au déshonneur de l’abandon par Paris et Londres de leur alliée, démantelée et bientôt annexée au Reich allemand. Mais, insiste Fritz Taubert, les marges de manœuvre de la France et du Royaume-Uni étaient alors extrêmement faibles car leurs armées n’étaient pas prêtes et leurs opinions publiques pas davantage.
Lire aussi | En direct, guerre en Ukraine : Vladimir Poutine accuse l’Ukraine d’attaquer les régions russes de Belgorod et Koursk pour tenter de « saper » la présidentielle« Le problème est qu’à l’automne 1938, pratiquement toute l’Europe était “munichoise” : après la signature des accords, les populations étaient soulagées », souligne l’historien, pour qui le parallèle entre hier et aujourd’hui trouve ici une de ses limites : « A l’époque, beaucoup de gens pensaient que la guerre avec l’Allemagne finirait néanmoins par arriver, alors qu’aujourd’hui il n’y a pas l’idée qu’une guerre avec la Russie est inéluctable. Dire cela, c’est rappeler que pour un Daladier, par exemple, les accords de Munich étaient vus comme une façon de gagner du temps pour permettre à la France de poursuivre sa politique de réarmement engagée depuis le Front populaire en 1936. Pour Chamberlain, c’était différent, lui-même étant sans doute beaucoup plus convaincu que la paix avait été durablement sauvée à Munich. »
Par ailleurs, l’idée selon laquelle la France et le Royaume-Uni auraient purement et simplement capitulé à Munich face à Hitler n’était pas partagée par ce dernier : à l’époque, le maître de l’Allemagne nazie était sorti furieux de la conférence, désireux qu’il était d’annexer immédiatement l’ensemble de la Tchécoslovaquie, qu’il occupa finalement à partir de mars 1939. Jusqu’à sa défaite en 1945, il regrettera en effet de n’avoir pas pris la décision de déclencher les hostilités dès 1938 pour prendre ses adversaires de court.
« Désunion des démocraties »Ainsi donc, plutôt que de faire de la conférence de Munich l’exemple absolu de la faillite des efforts de la diplomatie face à un autocrate à l’insatiable appétit de conquête, faudrait-il incriminer plus largement l’ensemble des renoncements ayant permis à Hitler de prendre série d’initiatives, la plupart en contradiction avec le traité de Versailles (1919) et les accords de Locarno (1925), qui mirent en péril la paix internationale sans rencontrer de véritable opposition ni de la France ni du Royaume-Uni : rétablissement du service obligatoire en mars 1935, déploiement de la Wehrmacht dans la région démilitarisée de Rhénanie en mars 1936 ; soutien militaire actif aux nationalistes espagnols soulevés contre le gouvernement républicain légal à partir de juillet 1936 ; annexion de l’Autriche (Anschluss) en mars 1938…
« Autant que la faiblesse des démocraties, c’est leur désunion qui a permis à Hitler d’avancer ses pions », souligne Pierre Grosser, qui rappelle « la très grande méfiance que la France inspirait aux Britanniques », laquelle conduisit les seconds à « refuser toute garantie de sécurité » à la première. A quoi s’est ajoutée la peur du communisme qui conduisit nombre de décideurs à préférer, soit par conservatisme soit par admiration plus ou moins assumée du fascisme, à considérer l’Allemagne nazie moins dangereuse que la Russie soviétique.
Sur ce plan, le parallèle avec la situation en Ukraine apparaît plus clairement, car l’offensive du 24 février 2022 a elle aussi été favorisée par les renoncements successifs des puissances occidentales qui, malgré les précédents que furent l’agression de la Géorgie en 2008, l’annexion de la Crimée en 2014 et le soutien appuyé de Vladimir Poutine au régime de Bachar Al-Assad en Syrie, ont continué à vouloir considérer la Russie comme un partenaire stratégique plus que comme une puissance hostile, acceptant même d’accroître leur situation de dépendance énergétique vis-à-vis de Moscou – avec les conséquences désastreuses que l’on a vues après le déclenchement de la guerre, au printemps 2022.
Lire aussi | Article réservé à nos abonnés « Il faut aider l’Ukraine parce que c’est notre intérêt dans un monde qui a changé de règle du jeu »En revanche, les analogies s’arrêtent là. Car même si les craintes d’élargissement du conflit à la Moldavie ou dans les Balkans restent fortes, la Russie ne semble pas si puissante que l’était l’Allemagne à l’échelle du continent européen en 1939. De plus, la présence de l’arme nucléaire et les menaces d’apocalypse qu’elle charrie modifient complètement la donne : pour toutes ces raisons, la situation de 2024 ne peut pas être comparée à celle de 1938.
Rejet du dialogueMais là n’est peut-être pas l’essentiel. Car au-delà de ces considérations de nature historique, convoquer le fantôme des accords de Munich et de l’« esprit munichois » pour attaquer les tenants d’une attitude conciliante avec Moscou est avant tout un argument politique dont la force réside dans la comparaison implicitement contenue dans le parallèle entre hier et aujourd’hui : celle entre Vladimir Poutine et Adolf Hitler. Or, dès lors qu’un tel parallèle est établi, comment serait-il possible de discuter avec le maître du Kremlin ?
Pour Gérard Araud, ces jeux d’analogie ne mènent nulle part. Pire, ils empêchent la réflexion, le fantôme de Munich étant rétrospectivement impossible à dissocier du double souvenir de l’effondrement de la France en mai-juin 1940 et de l’horreur de la Shoah. « En France, “Munich” est vu comme une pure abjection. Le parallèle, lorsqu’il est utilisé, vise à discréditer d’emblée celui qui évoque la possibilité de négocier. » Et le diplomate de rappeler : « C’est regrettable que beaucoup l’aient oublié, mais les guerres ne peuvent finir que de deux façons : soit par une victoire totale, soit par une négociation. »
Thomas Wieder(Berlin, correspondant) et Jérôme Gautheret
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Encore faudrait-il que poutintler veuille négocier...
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