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«Farador»: tous pour un, un pour tous
Le pari était risqué : transformer un court métrage culte réalisé entre amis lors d’un Kino Kabaret, c’est-à-dire avec peu de moyens financiers, mais beaucoup de créativité et d’huile de bras, en un long métrage capable de séduire les fans de la première heure et de conquérir un nouveau public. Eh bien, Édouard Tremblay, alias Eddie69 de Phylactère Cola et de Tom et ses chums, mérite plusieurs milliers de points d’expérience pour avoir réussi cet exploit.
Truffé d’amusantes références à Star Wars, à Willow (le film, pas la série !) et aux effets spéciaux en stop motion du grand Ray Harryhausen, Farador vulgarise si bien l’univers des jeux de rôle sur table que même ceux qui en ignoraient l’existence auront l’impression d’en connaître tous ses secrets. De facture modeste, ce premier long métrage en solo d’Édouard Tremblay témoigne une fois de plus de l’inventivité de son créateur, de son amour sincère pour le cinéma de genre et de sa passion décomplexée pour la culture geek.
En fait, Farador, que le coréalisateur de Feuilles mortes a écrit avec Daniel Boulanger, Marc-Antoine Rioux et Eric K. Boulianne, c’est le chaînon manquant entre la trilogie du Seigneur des anneaux, de Peter Jackson, et Monty Python. Sacré Graal !, de Terry Gilliam et Terry Jones. Mais au-delà de sa nature fantaisiste et de son esprit potache, il s’agit d’abord et avant tout d’un récit d’apprentissage rassembleur sur l’amitié bien ancré dans son époque.
À l’instar du court métrage La bataille de Farador, tourné au festival Vitesse Lumière en 2005, Farador met en scène quatre jeunes trentenaires qui, préférant passer des heures à jouer à Donjon et Dragon dans le sous-sol de leur sinistre bungalow de Sainte-Foy, n’ont pas encore effectué leur passage à l’âge adulte. Or, la mission qu’ils mènent « toutes les semaines depuis 18 ans » vient d’être mise en péril, non par les « créatures sanguinaires, labyrinthes maléfiques et traquenard alambiqués », mais par le départ de Paul (Marc-Antoine Marceau), parti s’installer chez sa copine Marie-Ève (Catherine Simard).
Elle veut le chaos
Au grand dam de Guillaume (Lucien Ratio), alias Gardakan, paladin niveau 66, et de Louis (Benoit Drouin-Germain), alias Mordak, archimage niveau 57, Charles (Eric K. Boulianne), le maître du jeu, semble plus motivé à écrire son roman érotico-médiéval, Le talisman du désir, qu’à les guider vers la forteresse du sanguinaire Farador. « Un livre sur des dragons qui fourrent, beau service à l’humanité, ça ! » lui lance Guillaume, fonctionnaire beige incapable d’approcher une femme dans la vraie vie, mais à qui aucune princesse ni amazone ne résistent dans son monde imaginaire.
Pour sa part, Louis, souffre-douleur de Guillaume, en pince pour Kim (Catherine Brunet), soeur de Charles, tout juste de retour de Belgique après avoir plaqué Tom (Florent Losson) afin d’assumer son orientation sexuelle qu’elle vient de découvrir. Ce dernier débarque quelques jours plus tard chez Charles et ses chums. Au cours d’une partie, sous l’identité de Foba Bett, voleur niveau 1, il manoeuvre pour envoyer ad patres Mordak : « T’as tué mon bonhomme ! »
Eh oui, la séquence clé de Farador est l’hilarant court métrage d’origine dans son intégralité, à quelques détails près — faute de consentement, le « postérieur hospitalier » de Gardakan est devenu « un bien récalcitrant fourreau ». D’un coup d’épée brandi dans l’air, voilà nos héros transportés par magie dans un Moyen Âge fantasmé (gracieuseté de Lassay-les-Châteaux, Pays de la Loire) et cernés par une horde de barbares jusqu’à ce que le pire se produise. Nul besoin d’avoir vu La bataille de Farador pour savourer chaque instant de ce passage joyeusement épique ni pour mesurer l’ampleur du drame dans la vie de ces attachants geeks.
La magie de Farador, c’est non seulement d’avoir fait revivre ces 12 minutes de pur délire, mais d’avoir pu en tirer un récit solide sur l’amitié, doublé d’une pertinente réflexion sur la masculinité et sur la quête d’identité, où Édouard Tremblay revisite brièvement la jeunesse de ses personnages, qu’il transforme ensuite en émouvants adulescents à un moment crucial de leur existence. Échappant à la caricature, les acteurs campent avec un bel aplomb et un bonheur contagieux leur personnage et leur double. Tantôt drôles, tantôt dures, d’un naturel désarmant, les répliques font mouche.
Qui dit amitié dit aussi trahison et réconciliation. Afin de prouver qu’elle n’est pas que l’élément féminin perturbateur, Kim se rendra à son tour dans le « monde de p’tits bonshommes » de son frère. Jamais une partie de Donjon et Dragon n’aura été à la fois aussi haletante et drôle, et sa finale aussi touchante. Il aura fallu attendre 18 ans pour enfin atteindre la forteresse de Farador. L’attente en aura valu grandement la peine.
Farador
★★★ 1/2
Comédie fantaisiste d’Édouard Tremblay. Avec Eric K. Boulianne, Catherine Brunet, Lucien Ratio, Benoit Drouin-Germain, Marc-Antoine Marceau et Florent Losson. Canada (Québec)–Belgique, 2022, 104 minutes. En salle.
https://www.youtube.com/watch?v=il_mNX0XzYA