« Ça ne sert à rien », « je préfère attendre » : plongée dans la France récalcitrante au vaccin contre le Covid-19
Par Stéphane Mandard
Publié aujourd’hui à 04h29
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ReportageA la base de loisirs de Jablines-Annet et à Meaux, en Seine-et-Marne, le département de France métropolitaine où la couverture vaccinale est la plus faible, de nombreuses personnes affichent leur défiance à l’égard du vaccin.
Les MLAC ont installé leur barnum à un « endroit stratégique » : à l’entrée du « royaume des enfants », entre les trampolines à élastique, les manèges et le parcours d’accrobranche, juste après le parking. Les MLAC, ce sont les Médiateurs de la lutte anti Covid-19. Ce mercredi 7 juillet, l’équipe (une infirmière et quatre agents de l’hôpital de Melun) est en opération spéciale à la base de loisirs de Jablines-Annet, en Seine-et-Marne. Nom de code : « aller vers ».
Astan Doumbia est venue avec ses soeurs passer la journée sur la base de loisirs. Cette mère de famille refuse de se faire vacciner. Elle est catégorique. Jablines-Annet, le 7 juillet 2021.
Astan Doumbia est venue avec ses soeurs passer la journée sur la base de loisirs. Cette mère de famille refuse de se faire vacciner. Elle est catégorique. Jablines-Annet, le 7 juillet 2021. AXELLE DE RUSSÉ POUR « LE MONDE »
Aller vers les réfractaires à la vaccination pour les convaincre de franchir le pas. Et en Seine-et-Marne, cela relève de la mission. Avec un taux de vaccination complète de 31 %, c’est le département de France métropolitaine où la couverture vaccinale est la plus faible. L’Agence régionale de santé (ARS), qui pilote le dispositif, s’est fixé pour objectif de « gagner 20 points » pendant la période estivale, afin d’éviter un rebond épidémique hors de contrôle à la rentrée. Avec une stratégie : cibler les personnes qui ne partent pas en vacances, et en particulier les jeunes.
Vaccination Covid-19 : suivez la progression de la campagne
Le ciel est menaçant et la température pas vraiment estivale. On ne se bouscule pas au « Royaume des enfants ». Marie Hubert, l’infirmière coordinatrice des médiateurs, entame la conversation avec le monsieur du chalet « Zozo Bank », qui vend les « zozos », comprendre les tickets pour les attractions.
– « Vous êtes vacciné ? »
– Non.
– « Vous comptez le faire ? »
– Non.
Les médiatrices de lutte anti Covid-19 discutent avec des animateurs de centre aéré, Landry et Candy. Tous deux ont eu le Covid-19 et ne souhaitent pas se faire vacciner. Jablines-Annet, le 7 juillet 2021.
Les médiatrices de lutte anti Covid-19 discutent avec des animateurs de centre aéré, Landry et Candy. Tous deux ont eu le Covid-19 et ne souhaitent pas se faire vacciner. Jablines-Annet, le 7 juillet 2021. AXELLE DE RUSSÉ POUR « LE MONDE »
Le monsieur, la cinquantaine, s’appelle Salim Dries. Comme la plupart des personnes rencontrées sur la base de loisirs, il dit qu’il « préfère attendre », que le vaccin a été « fait trop vite », que « la preuve, les soignants ne veulent pas se faire vacciner » et que, de toute façon, il « n’ira pas en Inde » quand l’infirmière évoque la menace du variant Delta. M. Dries garde toujours son masque sur lui et n’est jamais en manque de gel hydroalcoolique. Il nous propose un flacon et accepte volontiers le kit d’autotest tendu par une des médiatrices.
« Il est sorti trop tôt ce vaccin »
Boubous et voile sur la tête, Astan Doumbia a fait le plein d’autotests. Pour elle, ses deux sœurs et leurs enfants. Mais pour le vaccin, c’est « non ». « Pas pour l’instant, il est sorti trop tôt ce vaccin, normalement, il faut des années. » Assise sur un banc au bord de la plage, elle déguste avec sa sœur un plat à base de bananes plantain. Les enfants attendent le feu vert maternel pour piquer une tête dans l’eau de la Marne. Pour le vaccin, l’accord parental est au rouge. « Pas question », prévient Fatou, la sœur cadette :
« Ça n’empêche pas d’attraper la maladie, ça ne sert à rien de le faire. On ne se fera pas vacciner, sauf si on nous force, et je sens que ça va venir avec le Delta. »
Henda Coulibaly, l’une des cinq blouses blanches des MLAC, est originaire du Mali, comme la famille Doumbia. Elle a une explication à cette réticence, qu’elle qualifie de « communautaire ». Une histoire qui, dit-elle, s’est propagée dans toute l’Afrique au début de l’épidémie : « Il y a eu cinq morts non déclarées de personnes vaccinées au Mali. Il y a eu des kidnappings car il fallait des cobayes. Il y a eu des photos dans les journaux. La télévision en a parlé. Est-ce que ce n’est pas de l’intox ? On ne sait jamais… ».
Marie Hubert et son équipe passent leur temps à traquer les fake news
Les fake news, la désinformation amplifiée par les réseaux sociaux, Marie Hubert et son équipe passent leur temps à les traquer, à faire de la pédagogie. Deux animatrices et un animateur accompagnent une sortie de centre aéré. Aucun des trois ne veut être vacciné. L’infirmière explique à une accompagnatrice que, non, le vaccin ne l’empêchera pas d’avoir ses enfants.
Salim Dries travaille sur la base de loisirs. Il trouve que les vaccins ont été faits trop vite, et souligne que les soignants eux-mêmes refusent de se faire vacciner. Jablines Annet, le 7 juillet 2021.
Salim Dries travaille sur la base de loisirs. Il trouve que les vaccins ont été faits trop vite, et souligne que les soignants eux-mêmes refusent de se faire vacciner. Jablines Annet, le 7 juillet 2021. AXELLE DE RUSSÉ POUR « LE MONDE »
La bataille n’est « pas perdue »
Bilan de l’opération « aller vers » : « zéro inscription pour la vaccination ». Mais la bataille n’est « pas perdue », veut croire Marie Hubert : « Rien ne nous dit que les personnes que nous avons abordées ne réfléchiront pas et ne changeront pas d’avis. » Les MLAC n’ont pas croisé Dimitri et ses amis. La baignade, le trampoline à élastique, très peu pour eux. Leur après-midi, ils le passent à la terrasse du Saint-Rémi, un demi dans une main, une cigarette dans l’autre. Le Saint-Rémi est le premier troquet que vous propose le centre-ville de Meaux, la plus grande commune de Seine-et-Marne (58 000 habitants), lorsque vous arrivez de la base de loisirs de Jablines-Annet, à 20 minutes en voiture.
Dimitri a bien réfléchi à la question : le vaccin, c’est niet. Dimitri Tchernobrovkine (« 15 lettres, une de plus que Schwarzenegger ») est né en Russie en 1982, comme en atteste sa carte vitale, et travaille sur une plate-forme logistique de Lidl.
« Faut arrêter les conneries, le sida, ça fait plus de trente ans qu’on cherche un vaccin et là, en quelques mois, on trouve. On ne sait pas ce qu’on nous injecte dans le sang. Qu’est-ce qui vous dit que dans six mois les gens ne tomberont pas malades ? »
« Tous les jours, je me dis que je vais y aller, mais j’ai la flemme »
Son compagnon de table remplit une grille de paris sportifs : les matchs du jour à Wimbledon. A 64 ans, Pierre Podsatni est éligible à la vaccination depuis longtemps : « La flemme. Tous les jours, je me dis que je vais y aller, mais j’ai la flemme. » Une voiture pénètre dans le garage Saint-Rémi, en face du bar, moteur vrombissant. « Une Ferrari, ce n’est pas tous les jours », observe un troisième comparse, Antonio Marques. « A quoi ça sert le vaccin ? Dans mon pays, ils sont de nouveau confinés ». Le pays d’Antonio, c’est le Portugal. M. Marques a 57 ans, un emploi dans le bâtiment et des problèmes de santé : un décollement de la plèvre. « Du coup, je me méfie, il n’est pas sûr à 100 % ce vaccin, ils disent 90 %, mais est-ce que c’est vrai ? »
Dans le centre-ville de Meaux, à la terrasse du Saint-Rémi, Antonio Marques estime que le vaccin ne sert à rien et que les confinements sont inéluctables. Meaux, le 7 juillet 2021.
Dans le centre-ville de Meaux, à la terrasse du Saint-Rémi, Antonio Marques estime que le vaccin ne sert à rien et que les confinements sont inéluctables. Meaux, le 7 juillet 2021. AXELLE DE RUSSÉ POUR « LE MONDE »
« Le coronavirus, je n’y crois même pas »
A la brasserie L’Esplanade, au pied de la cathédrale de Meaux, trois jeunes serveurs, masques sous le menton, s’affairent doucement en terrasse. Le croque-monsieur et le burger s’assaisonnent au brie. Aucun n’est vacciné, aucun n’a l’intention de le faire. Et ils ont tous une bonne raison. Idriss, 18 ans, n’a « pas trop le temps ». Manon, 21 ans, a « la phobie des piqûres ». Kamilia, 18 ans, juge que « ça ne sert à rien ». En apprentissage, la jeune fille estime que les médias en font trop :
« Le coronavirus, je n’y crois même pas. C’est une maladie banale, comme une grippe. »
Pour le maire de Meaux, Jean-François Copé (Les Républicains), « l’enjeu, maintenant, ce sont les jeunes ». L’ancien patron de la droite française estime qu’il faut revoir la communication : « Certains jeunes ne voient pas le problème car les campagnes d’information leur donnent le sentiment qu’ils ne sont pas touchés. » L’édile, en poste depuis un quart de siècle, est en revanche pleinement satisfait de l’action municipale :
« On a été très proactifs en mobilisant très tôt le Colisée pour y installer le centre de vaccination. »
Le Colisée, c’est la salle de spectacle de Meaux. Pas vraiment l’affluence des grands soirs, ce mercredi après-midi. Plus de monde au boulodrome attenant que sur les chaises à attendre sa dose dans l’immense salle des fêtes. « La journée est longue, concède Noëlla Mailfert. Aujourd’hui, il n’y a personne, c’est terrible. » Derrière sa table, la bénévole attend que les patients viennent récupérer leur convocation pour leur deuxième dose. « Depuis 9 heures, j’ai dû faire une centaine de personnes, alors qu’habituellement on est entre 1 500 et 2 000 par jour. » Au plus fort de son activité, le centre a accueilli plus de 10 000 personnes. De Meaux, mais aussi de tout le département et de l’Ile-de-France. Le maire avait fixé un objectif : administrer 100 000 doses à la fin du mois de juin. Il a été atteint avec une semaine de retard.
La Seine-et-Marne est l’un des départements où l’on se vaccine le moins, avec un taux de vaccination complète de 28 %. Ce jour là, le centre de vaccination semble désert. Meaux, le 7 juillet 2021.
La Seine-et-Marne est l’un des départements où l’on se vaccine le moins, avec un taux de vaccination complète de 28 %. Ce jour là, le centre de vaccination semble désert. Meaux, le 7 juillet 2021. AXELLE DE RUSSÉ POUR « LE MONDE »
Le docteur Allard, responsable du Colisée, le centre de vaccination, discute avec des patients venus se faire vacciner. Meaux, le 7 juillet 2021.
Le docteur Allard, responsable du Colisée, le centre de vaccination, discute avec des patients venus se faire vacciner. Meaux, le 7 juillet 2021. AXELLE DE RUSSÉ POUR « LE MONDE »
« Une croisade, ça ne se gagne pas seul »
Du Colisée, les vaccinés repartent avec un diplôme quand ils ont reçu leur deuxième piqûre : un « tableau d’honneur des conquérants du Covid-19 », décerné par le docteur Christian Allard, le responsable du centre et adjoint – au sport et à la santé – de Jean-François Copé. Il signe le diplôme de Meriem Rabah. « Je vais le garder dans ma chambre », promet, toute impressionnée, la jeune fille de 21 ans.
Masque noir, foulard gris, elle est accompagnée de son frère et de sa sœur, tous deux mineurs. Eux repartent sans rien. Ni tableau d’honneur ni vaccin. Ils pensaient obtenir avec la première dose leur sésame pour partir en Tunisie. Raté. Ils iront faire un test PCR. Le médecin multiplie les arguments pour les convaincre de recevoir tout de même leur première injection : « La vaccination, il faut imaginer ça comme une croisade. Et une croisade, ça ne se gagne pas tout seul. Les vaccinés, ce sont les croisés. » Ils n’en seront pas.
Deux « expéditions » avec le bus ont permis de vacciner 160 puis 132 habitants
Le Dr Allard mène aussi des « expéditions ». Avec son « vaccibus ». Pour, comme les MLAC, « aller vers les gens qui ne vont pas au Colisée ». Près de la moitié de la ville a reçu au moins une dose, selon le médecin. Mais il y a de sérieuses poches de résistance. A La Verrière, notamment, dans le quartier Beauval, 22 000 habitants : « Un quartier sensible qui reste refermé sur lui-même, commente l’adjoint au maire de Meaux. 70 % de la population est d’origine maghrébine ou africaine et, pour des raisons de coutumes ou de culture, les plus de 35 ans ne viennent pas se faire vacciner. » Deux « expéditions » avec le bus ont permis de vacciner 160 puis 132 habitants. Une troisième était prévue jeudi.
Lahsen Ainsebra, 76 ans, s’est fait vacciner en cachette de ses enfants, tous trois contre ces vaccins trouvés trop rapidement. Meaux, le 7 juillet 2021.
Lahsen Ainsebra, 76 ans, s’est fait vacciner en cachette de ses enfants, tous trois contre ces vaccins trouvés trop rapidement. Meaux, le 7 juillet 2021. AXELLE DE RUSSÉ POUR « LE MONDE »
Abdlekarim Benkhalifa, 34 ans, gère le Citra, le kebab de la galerie commerciale installée sous la verrière qui a donné son nom au quartier. Il a reçu un SMS de l’Assurance-maladie pour le prévenir que le vaccibus serait « en bas de chez [lui]» le 8 juillet. « Franchement, je n’irai pas. On verra comment ça se passe avec les gens qui l’ont fait. » Un vieil homme tire son cabas. Il a 76 ans et quelque chose à nous dire : « Je suis allé me faire vacciner en cachette. Mes deux fils me l’avaient interdit. »
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