Sujet : Comment mon père m'a mis ma branlée aux échecs
Régulièrement, je joue aux échecs avec mon père. Nous ne sommes spécialement bons ni l'un ni l'autre, en fait, nous aurions tendance à être de niveau relativement équivalent. J'ai des conceptions plus modernes que les siennes sur les ouvertures, mais il sait être fourbe et retors comme pas un dans le milieu de partie, et surtout dans les finales.
Les échecs, c'est terrible, parce qu'il y a peu d'excuses. Le joueur de cs peut accuser l'autre de cheater, où se plaindre de la qualité de la souris, ou accuser le lag. Le joueur de str dira qu'il a chooisi le mauvais build, ou accusera le lag, ou sa souris. Le joueur de PES accusera la manette, ou le patch.
Mais aux échecs, pas de hasard, pas de lag, pas de souris, c'est cerveau contre cerveau. Bref, si vous perdez, c'est uniquement votre faute. Comme l'écrit Tartakover "Si vous perdez, ne vous cherchez pas d'excuses. On en trouve toujours, mais elles sont toutes mauvaises".
Au moment où je vous parle, la partie est encore jouable des deux côtés. On a commencé par une ouverture un peu archaïque (comme toujours avec lui), qu'il a dynamisé par une sortie de la reine un peu prématurée que je n'ai pas réussi à lui faire payer. On en arrive à un point où je sens qu'on va finir par échanger nos reines et entrer dans la finale de partie, ce qui signifie généralement qu'il va gagner. Bref, je n'ai que quelques coups pour trouver une combinaison brillante, une attaque décisive de mes pièces sur le roi.
Et, quand, gourmand, il ne peut s'empêcher de manger un pion latéral avec sa reine(...Dxh2), je me dis que c'est le moment de prouver qu'un peu du génie de Bent Larsen est en moi.
Pour paraphraser un grand joueur, "quand le milieu de partie est bien engagé, je regarde où se trouve le roi, je sacrifie quelque chose dans sa direction et je gagne"
Moi, j'ai tenté un sacrifice du cavalier en jouant 1.Cc3xb5
L'idée est que noir va jouer ...a6xb5, et que je pourrai alors jouer 2.Dd3xb5+ avec une attaque sérieuse sur le roi adverse. Là, il ne peut rien interposer, et est forcé de déplacer son roi sur la colonne a, ce qui donne soit ...Rb8-a8(le meilleur à mon sens) ou encore ...Rb8-a7.
J'en profite pour rameuter ma tour en jouant 3.Td1-d3, et je menace alors le mat par 4.Td3-a3.
Il pourra bien tenter d'interposer son cavalier en le jouant sur la colonne a, mais ça ne fera que retarder les choses.
Bref, je joue comme prévu mon cavalier. Comme prévu, après un peu de méfiance (le sacrifice du cavalier, ça cache souvent quelque chose), il le mange avec son pion (il est gourmand, c'est son point faible). Toujours dans mes plans, je lance l'attaque avec 2.Dd3xb5+
Là, je sens qu'il panique un peu, il a son air du "merde, j'avais pas prévu ça, je vais morfler", du coup, il joue ...Rb8-a7, ce qui est à mon sens une erreur, puisque ça l'empêche, le cas échéant, d'interposer son cheval en a7.
Moi, tout content, je joue comme prévu 3.Td1-d3, avec la menace de mat par 4.Td3-a3 qui se précise. A ce stade, je suis euphorique, j'entends déjà la victoire en chantant m'ouvrir la barrière, tout ça... Du coup, je remarque à peine que mon père, ce fourbe, a joué ...Dh2-d6. J'y vois le coup d'un homme qui a compris que la menace était sérieuse, et qui rapatrie la reine en quatrième vitesse. "Il est trop tard pour toi, vieillard" ai-je pensé. Et, presque triomphalement, je joue sans même regarder l'échiquier mon 4.Td3-a3.
Sauf que là, il a joué ...Dd6xa3. Argh!
Je l'aurai, un jour! Je l'aurai!