Sujet : J'ai peur de mourir.
Le meilleur. Ouais, j'étais le meilleur, ou du moins ce qui s'en rapproche le plus. Rien ne me résistait, jamais, aucun serveur, aucun firewall : je navigais au sein du réseau comme un passe-muraille, un fantôme. Impossible à détecter, impossible à arrêter. Derrière mes écrans, j'ai contourné les défenses des plus grandes banques, et même, une fois, celles du Pentagone. Je ne le referai pas, ils doivent être un peu paranos maintenant, surtout depuis que j'ai changé les passwords de tous les admins système.
Vous ne savez pas qui je suis, mais il y a des chances que j'aie vos identifiants bancaires quelque part sur un de mes disques durs. Ou que j'aie déjà visité votre collection de films pour adultes. Ne vous en faites pas, je ne dirai rien à votre femme.
C'est arrivé hier. J'étais en train de scanner quelques IP au hasard, histoire de ne pas perdre la main, et je suis tombé dessus. Un serveur, localisé à Manhattan. Aucun port d'ouvert, et même mes programmes maison n'ont détecté aucune faille. Pas la moindre. J'ai aussitôt arrêté les autres scans, et j'ai commencé à essayer de m'y connecter. Aucune des méthodes classiques n'a donné le moindre résultat, évidemment, alors je suis passé à quelques-unes de mes méthodes personnelles. Je vous passe les détails. Au bout de sept heures, je n'avais quasiment pas avancé : ce n'est qu'au petit matin que j'ai enfin réussi à avoir un accès - restreint - sur les machines.
De là, il m'a encore fallu trois bonnes heures d'attaques diverses et de feintes pour pouvoir me logguer en root. Vous ne pouvez pas imaginer, je crois, la joie qu'on ressent, après des heures de tentatives et trempé de sueur, en voyant l'accès root qu'on vient d'obtenir. C'est presque sexuel.
Je n'ai quand même pas passé trois plombes à m'autocongratuler. J'étais curieux de voir ce qu'était ce réseau qui m'avait posé tant de difficultés : déjà, le nom de machine. "GodStation". Ouais, rien que ça : ils ont de l'humour, par ici.
J'ai vite réalisé que c'était un serveur de base de données, en me baladant dans les entrailles du système. Mais quand j'ai demandé à consulter une des bases en question, un message d'erreur : "Sorry, you must enter a valid password to access this database". Ben merde, je suis en root, ou quoi ? J'étais un peu sur les nerfs, alors j'ai lancé une tentative de type bruteforce. Généralement, c'est très long, oui. Sauf si vous détournez la moitié des serveurs de Google pour qu'ils participent à ladite tentative. Tout de suite plus rapide.
"Access granted". Je commençais à en avoir un peu marre, et mes réserves de café diminuaient. J'ai d'abord consulté les stats de la base, et c'est là que j'ai commencé à halluciner : six milliards de requêtes à la seconde. Treize virgule sept téraoctets de données ajoutées par minute. Un truc de malade. J'avais du mal à y croire, alors j'ai été voir le contenu.
Juste avant, j'ai utilisé l'expression "commencer à halluciner". Il y a une raison : le moment où j'ai réellement halluciné, c'est en voyant quel genre de données était stocké. Le truc le plus flippant que j'ai jamais vu : des infos personnelles. Les faits et gestes des gens. Leurs déplacements. En continu. Le fantasme ultime de tout agent de la CIA. Un peu fébrile, j'ai sélectionné un enregistrement au hasard. "Émily Kane". Numéro de téléphone, taille, tour de poitrine, couleur des cheveux, âge, vêtements, poids, petit ami, lycée ... tout y est. Elle était en train de manger au restaurant avec ses parents. Bordel, j'étais tombé sur l'ordinateur perso de Big Brother, ou quoi ?!
C'est à ce moment là que j'ai fait une connerie. Je m'en rends bien compte, avec le recul : je n'aurais jamais dû consulter mes données. Mais je l'ai fait. J'ai lu qui j'étais, ce que j'avais fait étant gosse, ce que j'étais en train de faire. Et j'ai remarqué un champ qui m'avait échappé avant. "Reward : damnation". J'ai aussitôt coupé la connexion.
GodStation, hein ? Putain de merde.