Re : [lecture] now reading
Si le sujet et le déroulement peuvent paraître risibles pour un lecteur contemporain (et que cette tepu de Chimène est vraiment une casse-burnes comme on en fait plus), la pièce est superbement écrite et les alexandrins du sieur Corneille, riches et fluides, passent comme une soupe aux truffes noires VGE un jour de disette.
Le livre vaut aussi beaucoup pour son contexte de parution, qui donne à voir les prémisses du star system français. Le succès du Cid rend jaloux plusieurs auteurs, qui passent outre la beauté de la pièce pour en critiquer des détails stylistiques, donnant lieu à un clash d'auteurs qui ira si loin qu'il nécessitera l'intervention de la toute jeune Académie française et de Richelieu qui en a gros à cause de son love-hate relationship avec Corneille, et qui rendra d'ailleurs un jugement de normand sur la pièce.
Il faut ici s'imaginer un clash façon B2O - ROHFF, mais avec des gens qui auraient appris à lire et à écrire:
Cela commence par une lettre assez orgueilleuse de Corneille
... Je sais ce que je vaux, et crois ce qu'on m'en dit.
Pour me faire admirer je ne fais point de ligue :
J'ai peu de voix pour moi, mais je les ai sans brigue ;
Et mon ambition, pour faire plus de bruit,
Ne les va point quêter de réduit en réduit ;
Mon travail sans appui monte sur le théâtre ;
Chacun en liberté l'y blâme ou l'idolâtre.
Là, sans que mes amis prêchent leurs sentiments,
J'arrache quelquefois trop d'applaudissements ;
Là, content du succès que le mérite donne,
Par d'illustres avis je n'éblouis personne ;
Je satisfais ensemble et Peuple et Courtisans ;
Et mes vers en tous lieux sont mes seuls partisans ;
Par leur seule beauté ma plume est estimée ;
Je ne dois qu'à moi seul toute ma renommée,
Et pense, toutefois, n'avoir point de rival
A qui je fasse tort en le traitant d'égal...
Troll flamboyant qui fait évidemment rager d'autres auteurs
Tu ne dois te vanter en ce fameux ouvrage
Que d’un vers assez faible en ton propre langage,
Qui par ton ignorance ôte l’honneur au mien
(Tant sa force et sa grâce en est mal exprimée),
Cependant orgueilleux et riche de mon bien,
Tu dis que ton mérite a fait ta renommée.Bien, bien, j’irai paraître avec toute assurance,
Parmi les courtisans et le peuple de France,
Avec un privilège et passeport du Roi,
Alors ma propre gloire, en ta langue imprimée,
Découvrira ta honte, et mon Cid fera foi
Que le tien lui devait toute sa renommée.Donc fier de mon plumage, en Corneille d’Horace,
Ne prétends plus voler plus haut que le Parnasse,
Ingrat rends-moi mon Cid jusques au dernier mot,
Après tu connaîtras, Corneille déplumée,
Que l’esprit le plus vain est souvent le plus sot,
Et qu’enfin tu me dois toute ta renommée.DON BALTAZAR de la Verdad.
Et ainsi de suite pendant plusieurs années (!)
Le texte entier du drama et du clash peut se trouver ici
Nul doute que cela a aussi dû faire jaser les Jean-Marc de Morandiny et autre Taupiteaux Point Comme de l'époque.