Sujet : C'est une reine, Ségolène !
Dimanche matin, quand mon réveil a sonné à 6h30, j’ai bougonné. Il faut dire que la veille au soir, j’avais participé à un festin (bien arrosé) au cours duquel on m’avait servi une terrine de poisson (accompagnée d’une mayonnaise redoutable, escoffier style) puis une poularde rôtie farcie aux croûtons aillés.
Pourtant, malgré ma bouche pâteuse et mon esprit brumeux, je me suis rapidement préparé, vêtu, et je me suis engouffré dans les profondeurs du métro parisien. Ce n’était pourtant pas des motifs inavouables, ni le désir pressant de fuir tout petit déjeuner avec ma compagne de la nuit qui motivaient un départ si matinal.
J’allais tout simplement au parc des expositions de Villepinte. Voir Ségolène Royal.
De Villepinte, je ne dirai rien, car à la vérité, je n’en ai rien vu. C’est directement dans le parc des expositions que je suis sorti. Là, je suis tombé sur un petit groupe de jeunes militants, qui remarquant que l’âge n’a pas encore défiguré mon beau visage, m’offrent un T-shirt « Segosphère ».
Je traverse de nombreux halls gigantesques et vides, avant d’accéder à celui où la réunion va se tenir. Le motif premier de la réunion est le « rassemblement national des secrétaires de section », mais nul n’ignore que, pressée de dévoiler son programme, Ségolène royal a décidé qu’aurait lieu une « remontée des débats participatifs », et qu’elle fera un discours très attendu dans l’après-midi.
A l’entrée du Hall, trois stand. Au centre, un stand « Ségolène présidente », qui doit être une organisation dédiée à la candidature de Ségolène Royal. Je ne m’y intéresse pas. A droite, le stand du MJS. Il est 8h15 et leur stand est déjà presque fini. On sent les routiers du militantisme : ils ont disposé les tables, collé les affiches, sont tous en tenue(j’aime beaucoup leur T-shirt qui portent côté face « les jeunes avec Ségolène » et côté pile « fiers d’être socialiste »). De plus leur logistique assure : ils ont amené des banderoles, des panneaux dépliables. En toute logique, j’aurai dû aller vers eux. Deux choses me retiennent cependant : d’une je n’ai jamais eu de grande sympathie pour ceux que j’ai connu qui en étaient membres, de deux, c’est une organisation plus rodée, donc plus hiérarchisée, et je n’aime pas qu’on me dise quoi faire. Je me dirige donc vers le stand de Ségosphère.
Bon, Ségosphère est une organisation nouvelle, qui a recruté principalement chez des jeunes moins rôdés au militantisme. Et ils apprennent, mais dans la douleur. Ca se voit dans leur stand pas monté(alors qu’ils sont arrivés les premiers à 6H du mat’), dans l’absence de support matériel annexe, dans leur déficit en fournitures (ils n’avaient pas de scotch), et dans les regards d’envie qu’ils lancent au stand du MJS. Cependant, je constate, en leur donnant un coup de main pour monter leur stand, qu’ils ont de l’enthousiasme à revendre. On empile des tables pour gagner en hauteur, on tire profit de vieilles caisses abandonnées, on se passe de scotch, heureusement remplacé par des mini vignettes autocollantes. Trois quart d’heure plus tard, je contemple le résultat avec le sentiment d’avoir fait au mieux. Là-dessus, celle qui semble se considérer comme responsable du stand m’explique que je suis absolument nécessaire pour accueillir les gens. Compte là-dessus cocotte, moi, je suis venu pour voir, donc je l’envoie paître gentîment (c’est l’avantage de la confusion organisationnelle des groupes dans l’enfance : pas d’autorité affirmée, pas de sanction institutionnalisée), et je me dirige vers la salle, tout en tombant ma chemise pour enfiler la Ségosphère (enfin le T-shirt).
Quand j’arrive à 9h, la salle est encore relativement clairsemée : il n’y a pas là plus de trois mille personnes. Mais mon T-shirt (oserai-je dire mon uniforme ?) m’assure une des places réservées à 20 mètres de la tribune. Là encore, plusieurs constat s’imposent. Si Ségosphère est une jeune organisation, elle est cependant bien en cour, car les places qui lui sont réservées sont très proches de la tribune et enserrent la travée latérale par laquelle arriveront les « personnalités » du parti. Le MJS s’est vu attribuer les places immédiatement derrière.
Là encore, les différences entre les deux organisations sautent aux yeux. Les gars du MJS sont bien équipés (drapeaux, banderole, sifflets à roulette, corne de brume), leurs chauffeurs sont déjà à l’œuvre, et ils ont commencé à chanter(« l’internationale », « l’avant-garde ») et à acclamer. De leurs côté, les tribunes Ségosphère sont clairsemées, les militants ne disposent que de pancartes à brandir, et la plupart sont assis sans rien faire. Les autres cherchent un responsable qui pourrait leur dire : où il faut s’asseoir, où sont les drapeaux, qu’est-ce qu’on a comme slogans, y a-t-il des chansons qu’on pourrait chanter ?
Je profite de la confusion pour m’installer aux premières loges, à savoir le plus près possible de la tribune et de la travée latérale.
La confusion ne dure pas cependant : des chauffeurs Segosphere font leur apparition, les militants arrivent, le matos aussi, les tribunes sont un peu réorganisées, on commence un peu à gueuler. Il est 9h15.
Le meeting proprement dit peut être découpé en trois parties. D’une part une série d’interventions qui forment la réunion nationale des secrétaires de section et les remontées des débats participatifs, ensuite un discours de François Hollande de trois quart d’heure, et enfin le discours de Ségolène.
De la réunion des secrétaires de section, je dirai peu : je ne suis pas secrétaire de section. A ce que j’ai compris, il s’agit de mettre le parti en ordre de bataille pour les législatives.
Les remontées des débats participatifs étaient déjà plus remarquables. D’abord parce que dans la dizaine d’intervenants, un bon tiers n’étaient pas membres du parti socialiste, et certains interpellaient assez durement le parti sur son action future (je pense à un éducateur de rue dont les sympathies me semblaient aller vers l’extrême gauche). D’autres au contraire, semblaient sincèrement touchés par l’attention qu’on avait eu pour leurs propositions (comme cette représentante d’une association d’handicapés, handicapée elle-même). Sinon un discours martial du patron du MJS, et quelques contributions (une féministe, deux députés) qui ne m’ont pas particulièrement marqué. Pendant ces interventions, les jeunes militants et moi-même hurlons notre approbation aux cris de « Ségolène présidente », « tous ensemble, socialistes », et les intervenants eux-mêmes semblent un peu déroutés par notre enthousiasme.
Vers midi moins le quart, la chaleur monte dans les tribunes tandis que la rumeur de l’arrivée prochaine de hollande les traverse, et les acclamations redoublent. C’est sous les vivats et les applaudissements que François hollande descend la travée latérale et rejoint la tribune.
Son discours, qui durera trois quarts d’heure, est fin, drôle, incisif. Il est très vite évident qu’il y a eu répartition des rôles et que lui a été chargé de taper sur bismuth et la droite pour déblayer le chemin à Ségolène. Il se tire à mon sens très bien de cet exercice plutôt ingrat, en faisant rire la salle du « ministre le matin candidat le soir » (le cri de« bismuth démission » lancé par moi sera repris par toute la salle), reliant Paul Bismuth au bilan gouvernemental de la droite depuis 2002, fait un sketch que j’ai trouvé irrésistible sur le « droit opposable », et termine avec humour sur les références de gauche dont Sarko émaille ses discours depuis peu. C’est sur fond d’un « bella ciao » version accordéon techno et sous les acclamations de la foule en délire qu’il se retire.
Là-dessus, il est une heure, et des sandwichs gratuits sont censés être distribués dans le hall. En ce genre d’occasion, cependant, les places sont chères, et je suis décidé à ne pas bouger, d’autant que des gens de Ségosphère sont censé nous réapprovisionner. Me doutant que le meeting serait un succès, et peu confiant dans la logistique ségosphérienne, j’avais prévu le coup et avait apporté mes propres sandwichs (un sandwich club à la mousse d’œuf dur et un autre au tartare de jambon pour ceux que ça intéresse). Sage précaution, puisqu’à ce moment, la salle comptait déjà plus de 8000 personnes et que je fis partie des rares membres de Ségosphère qui furent lésés dans la distribution.
Bon, j’ai quelques notions de psychologie des foules (hello Gustave !), et je sais reconnaître une mise en scène quand j’en vois une. Il n’empêche, c’est efficace. Un petit quart d’heure avant deux heures sonnées, voilà qu’on nous distribue enfin des drapeaux. Et là, on éteint les lumières. Ca fait des heures qu’on crie des slogans, qu’on se lève, qu’on monte sur des chaises, qu’on se rassied. Beaucoup commencent à être fatigués, la gorge se fait râpeuse et douloureuse à force de crier. Pourtant, la rumeur de l’arrivée de Ségolène enflamme les tribunes. Tout le monde est de bout sur sa chaise, hurle « Ségolène présidente », agite les drapeaux, brandit les pancartes. Puis arrive la musique. D’abord de la techno (pas de la grande, mais franchement j’ai vu pire), puis une rappeuse anglaise bien pêchue (Ms dynamite du moins j’ai cru reconnaître sa voix). Dans les tribunes, c’est la folie. Chacun danse ou plutôt sautille sur sa chaise, j’ai rarement vu une telle ambiance. Et Ségolène arrive, sous les acclamations de la foule.
Si vous voulez voir son discours en entier, il est ici, le texte seul étant là (mais regarder la vidéo rend mieux compte de l’ambiance).
Je ne ferai pas mystère du fait que j’ai beaucoup aimé ce discours. Pour plusieurs raisons. D’abord parce que c’est un discours courageux. Ce n’est pas rien, pour la candidate du parti socialiste, de commencer son discours par un éloge des créateurs d’enjeanrise, d’affirmer une volonté de réconcilier les français avec l’enjeanrise. Le discours économique, basée sur l’idée que les atouts de l’économie française sont l’excellence technologique et la productivité du travailleur français. Ensuite parce que c’est un discours ambitieux. Personne n’ignore qu’aujourd’hui en France, les disparités sociales s’accroissent : l’écart entre les hauts et les bas revenus s’accroît, une paupérisation d’une partie des classes moyenne se fait jour, à tel point que celles-ci se sentent menacées dans leur ensemble, le patrimoine est de plus en plus concentré. A cela, Royal répond par un choix politique fort, celui de la solidarité et d’une politique de cohésion sociale, dirigée vers les plus faibles. J’ai aussi trouvé ce discours responsable : rappeler en début de discours la situation de la dette, c’est affirmer clairement qu’on ne peut faire n’importe quoi, qu’on va compter combien on dépense. C’est ce qui explique à mon avis le silence de Ségolène sur la fiscalité : pourquoi en parler, si c’est pour ne pas promettre de baisses d’impôts (qui dans l’état de dégradation de nos finances seraient irresponsables) voire pour affirmer qu’on reviendra sur le bouclier fiscal et une partie des baisses sur l’IR ? Il n’y avait que des coups à prendre.
Mais cette dimension de responsabilité ne s’arrête pas là, elle se trouve aussi dans l’idée qu’à chaque droit correspond un devoir. Et de fait, si le discours de Royal tourne parfois au catalogue de mesures (même s’il est injuste de dire que c’en est un : le lien logique qui sous-tend l’ensemble est clair), chaque fois qu’elle émet une proposition, cette proposition est articulée avec une conjeanartie qui la rend réalisable. Ainsi, les économies qui donneront les marges de manœuvre nécessaire ne viennent pas d’une éphémère chasse aux « gaspillages »(vieille antienne qu’on entend depuis Balladur et qui consiste à croire qu’on résout tous les problèmes en fermant à clé l’armoire à fournitures) mais bien d’une réforme de l’Etat fondée sur une nouvelle décentralisation consistant en un transfert de compétences et de moyens de l’état vers les régions.
Encore faut-il souligner l’évolution que montre la candidate dans sa conception de l’action des pouvoirs publics. On n’est plus dans une logique où l’Etat va se substituer aux acteurs, mais dans une logique qui verra l’Etat émettre des incitations fortes à leur égard. Et ça, c’est un mode d’intervention étatique moins lourd et moins cher.
Au-delà de toutes ces dimensions, le discours m’a semblé porteur d’un vrai projet de société résolument ancré à gauche, articulée autour de la notion de justice dont vous comprendrez qu’elle me soit chère.
J’ai donc été séduit et enthousiasmé par ce discours, et les quelques réticences que j’aurai pu avoir sur la candidate du ps sont aujourd’hui dissipées (« lavage de cerveau » diront les mauvaises langues).
Ma conclusion est donc que rien n’est joué, que Ségolène n’est pas cette gourde inculte dont journaux, télévision et Internet relaient complaisamment les « gaffes », et que si sa prestation de dimanche est son véritable niveau, je comprends mieux pourquoi elle l’a emporté sur ses rivaux lors des primaires, pourquoi elle a pris la région Poitou-Charentes à Raffarin, pourquoi elle a gagné dans des circonscriptions législatives ingagnables.
Pourquoi elle peut gagner la présidentielle.
[ce post a été écrit en écoutant en boucle le"ségolène royal mix", je vous le recommande, ça donne un peu de légèreté à ce qui est, il faut bien le dire, un pavé]