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Contrôle des transferts physiques de fonds
Les pouvoirs publics ont toujours éprouvé une certaine méfiance à l'égard des transferts physiques de devises. Si rien n'est plus normal pour un touriste que d'emporter des sommes raisonnables lui permettant d'assumer les frais de son séjour, l'importance excessive de leur montant peut laisse planer un soupçon, soit sur la manière dont elles ont été acquises, soit sur les raisons de leur transfert. L'essentiel des règles applicables en la matière est encadré par le règlement (CE) no 1889/2005 du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 (JOUE, no L 309, 25 nov.) et figure aux articles L. 152-1 et R. 152-6 à R. 152-9 du code monétaire et financier, issus de la loi no 2006-1771 du 30 décembre 2006 (JO 31 déc.) du décret no 2007-1638 du 19 novembre 2007 (JO 22 nov.).
On examinera successivement les dispositions qui concernent l'obligation de déclaration et celles qui traitent des suites de la déclaration.
§ 1 - Obligation de déclaration
L'obligation de déclaration vise aussi bien la circulation de l'argent liquide entre le territoire de la Communauté européenne et les États tiers que celle des sommes en provenance ou à destination d'un autre État membre. L'énumération des instruments sur lesquels porte la déclaration résulte tant de l'article 2, 2 du règlement communautaire, en ce qui concerne les transferts provenant ou destinés à un État tiers, que de l'article R. 152-7 du code monétaire et financier, pour les transferts entre États membres. Dans les deux cas, elle ne touche que les transferts portant sur une valeur de 10 000 € au moins.
Sont ainsi visés dans des termes identiques les instruments négociables au porteur, y compris les instruments monétaires au porteur tels que les chèques de voyage : les instruments négociables (y compris les chèques, les billets à ordre et les mandats) qui sont soit au porteur, soit endossés sans restriction, libellés à l'ordre d'un bénéficiaire fictif, soit sous une forme telle que la propriété de l'instrument est transférée au moment de la cession de celui-ci ; les instruments incomplets (y compris les chèques, les billets à ordre et les mandats) signés, mais où le nom du bénéficiaire n'a pas été indiqué. Sont enfin comprises dans la liste les espèces (billets de banque et pièces de monnaie qui sont en circulation comme instruments d'échange).
Le règlement ayant offert aux États membres le choix de la forme dans laquelle doit être effectuée la déclaration (écrite, orale ou électronique), la France a décidé d'imposer la forme écrite (C. mon. fin., art. R. 152-6) dans tous les cas, sans que les raisons de cette option apparaissent clairement. La réglementation française prévoit que la déclaration imposée dans le cas de transfert avec un État tiers doit être faite « au moment de l'entrée ou de la sortie de la Communauté européenne », expression dont on ne pourra manquer de relever l'incorrection stylistique (art. R. 152-6), alors que, en cas de transfert intracommunautaire, elle doit être présentée « au plus tard au moment du transfert » (art. R. 152-7). Il est donc possible d'adresser la déclaration par voie postale, dans ce dernier cas, préalablement au transfert, mais dans un délai maximal de cinq jours ouvrables avant celui-ci. Dans les deux cas, c'est l'administration des Douanes qui la reçoit. Sur ce dernier point, il est permis d'exprimer des doutes quant à l'application de cette réglementation aux transferts de fonds intracommunautaires. Si la règle pouvait se justifier à l'époque où subsistaient des postes frontières entre les États membres, elle est, à notre avis, devenue absolument inconciliable avec la suppression de ces derniers depuis l'instauration du Marché unique le 1er janvier 1993. À supposer un voyageur, soucieux de respecter le texte, qui souhaiterait effectuer sa déclaration « au passage de la frontière », il serait bien en peine, la plupart du temps, de trouver un douanier national apte à la recevoir. Et, même s'il s'adressait au premier poste de douane rencontré ou répondait à un contrôle douanier inopiné ultérieur, ne pourrait-il se voir reprocher d'avoir effectivement « franchi la frontière » sans avoir effectué sa déclaration ? Quant au franchissement de la « frontière » franco-monégasque, il relève d'une vision surréaliste. Il est pourtant rappelé dans une décision administrative émanant de la Direction générale des douanes (Décis. no 09-043 du 25 juin 2009, BOD 26 juin) que « la principauté de Monaco ne fait pas partie de la Communauté européenne. Tout mouvement d'argent liquide entre la principauté de Monaco et la France est donc soumis au dispositif déclaratif communautaire ». Cette règle est d'autant plus étrange que, en ce qui concerne la surveillance des investissements (V. infra, no 42), la principauté de Monaco est considérée comme faisant partie intégrante du territoire français.
Quant aux informations que cette déclaration doit contenir, elles sont à nouveau pratiquement communes aux deux hypothèses. Elles comportent l'indication des nom et prénoms, de la date et du lieu de naissance du déclarant, de sa nationalité (pour les transferts intracommunautaires, du propriétaire des sommes, titres ou valeurs [appelés « argent liquide » par le règlement]), du destinataire projeté de cet argent liquide (le texte français précise « lorsque le transfert est opéré pour le compte d'un tiers », ce qui semble aller de soi), son montant et sa nature, sa provenance et l'usage qu'il est prévu d'en faire, l'itinéraire de transport, le ou les moyens de transport. Ces dispositions sont rendues applicables aux envois postaux par l'article R. 152-8 du code monétaire et financier.
§ 2 - Suites de la déclaration
Les textes en vigueur sont étrangement discrets sur l'utilisation des informations obtenues par les autorités compétentes grâce aux déclarations qui leur sont faites. Le règlement communautaire se contente de prévoir que ces informations « sont enregistrées et traitées par les autorités compétentes de l'État membre […] et sont mises à la disposition des autorités dudit État membre visées à l'article 6, paragraphe 1er, de la directive 91/308/CEE », laquelle traite de la prévention du blanchiment d'argent. Le code monétaire et financier, quant à lui, est muet sur la question. On peut néanmoins supposer que l'administration des Douanes ne se privera pas de transmettre ses informations, selon le cas, à la direction du Trésor, à la Banque de France, voire au service Tracfin (V. Blanchiment de capitaux et financement du terrorisme). La possibilité d'échanges d'informations avec les autres États membres et la Commission (Règl., art. 6), voire avec les autorités des pays tiers, est également reconnue sous certaines conditions.
On ne peut qu'être troublé par une disposition singulière du règlement communautaire (art. 5, 2), qui permet aux autorités nationales compétentes d'enregistrer et de traiter certaines des informations qu'elles ont recueillies à la suite du « contrôle des personnes physiques, de leurs bagages et de leurs moyens de transport » ; encore ne s'agit-il (pourquoi ces restrictions ?) que des nom et prénoms desdites personnes, de leur nationalité et des précisions sur les moyens de transport qu'elles ont utilisés. Mais cette possibilité n'est ouverte que s'il ressort des contrôles que la personne en question « entre dans la Communauté ou en sort avec une somme en argent liquide inférieure au seuil [de 10 000 €] et qu'il existe des indices d'activités illégales associées à ce mouvement d'argent liquide ». Autrement dit, si le voyageur n'est pas, par définition même, tenu d'effectuer une déclaration, mais qu'un douanier découvre dans sa serviette une somme, disons de 5 000 €. Il résulte du texte ci-dessus : 1o que le voyageur en question ne pourra pas être verbalisé pour défaut de déclaration, mais que 2o il devra néanmoins fournir les éléments essentiels qu'il aurait fournis s'il avait dû en établir une, éléments qui seront enregistrés et transmis aux autorités chargées de la prévention du blanchiment « s'il existe des indices d'activités illégales associées à ce mouvement d'argent liquide », et cela sur la base de la seule appréciation du douanier. On a du mal à comprendre comment concilier cette étrange situation avec l'article 8 du règlement, aux termes duquel « toute information de nature confidentielle, ou fournie à titre confidentiel, est couverte par le secret professionnel. Elle n'est pas divulguée par les autorités compétentes sans l'autorisation expresse de la personne ou de l'autorité qui l'a fournie » (sur les sanctions qui s'attachent au non-respect de l'obligation de déclaration, V. infra, nos 96 et s.).