Sujet : Moi, rebelle
Il est des existences extraordinaires, des destins hors du commun, dont l’humanité toute entière est témoin. Certains personnages n’ont jamais pu vivre comme les autres, ils n’ont jamais pu s’adapter à une société trop étriquée pour des personnalités aussi fortes que les leurs. Coincés dans un monde qui n’est pas le leur, ils mènent une vie à l’écart, tels des mercenaires intellectuels dont le charisme bouscule leur environnement. Je suis de ceux-là et c’est mon combat que je m’en vais vous compter.
C’est à 15 ans que ma vie bascule, guidé par la mouvance hip-hop, je porte des pantalons avec de la place pour quatre mais dans lesquels je reste désespérément seul. Autour de mon cou, 2 kg d’acier me donne un style inimitable de guerrier urbain. Mon éducation sexuelle est assurée par Difool sur Skyrock et bien vite, je sais tout de la sodomie et du fist-fucking. Dès lors plus rien ne m’effraie, je suis le caïd, le roi de la jungle et c’est sans aucune trace d’appréhension que je tag « nique la police » sur les tables de permanence.
A l’age de 16, je deviens extrêmement tourmenté par le monde qui m’entoure. Mon combat est alors essentiellement humaniste et je n’hésite pas à m’engager pour des causes sensibles et courageuses. Le racisme est selon moi le pire fléau de notre société et je n’hésite pas à arracher les affiches du Front National. Sur mon sac de cours Eastpak, j’ai mis un autocollant « A bas le F Haine » récupéré en manif et qui symbolise la complexité de ma lutte. Pour moi, tous les hommes politiques sont des fachos et notre société est plongée dans l’intolérance. Mais mon combat est universel, je m’engage également contre le SIDA. Je porte ainsi en permanence mon pins Sidaction qui symbolise ma haine pour cette maladie.
A 17 ans, je me radicalise. On ne me contrôle plus, je suis un électron libre. Mes idoles : Che Guevara, l’inventeur du reggae, et Sinsemilia, un groupe de ska underground dont le combat politique converge vers mes idéaux radicaux. Je fume du shit car ça libère mon âme et je passe mes soirées à refaire le monde dans un squat avec des keupons qui ont déjà tout compris au monde.
Après avoir obtenu mon bac, j’intègre une école d’ingénieur pour changer le système de l’intérieur. Agent secret des alter mondialistes, j’intègre le journal étudiant pour diffuser mes idées. Parfois, le rebelle qui sommeille en moi s’échappe et je me lance dans la rédaction d’articles brûlants, dont le contenu corrosif m’effraie presque moi-même. Peu comprennent mes idéaux, on ne me prend pas au sérieux, mais je reste persuadé que mon heure viendra.
A 20 ans je me calme, si ma lutte ne change pas, je pose davantage mes idées. Je commence à écouter France Inter et je deviens fan de Vincent Delerme. Je suis passionné par l’œuvre d’Andy Warhol qui pour moi demeurera éternellement un génie incompris. Lors des élections, je vote Vert au premier tour et Socialiste au second. Je m’insurge contre la mal’bouffe et n’hésite pas à critiquer le 20 heures de TF1 qui selon moi lobotomise mes concitoyens.
Mais cela ne dure pas, à 22 ans, je cesse de me laver, je rejette mon entourage et ne vie plus que pour ma bass. Seul le néo-métal hongrois me tire de ma léthargie autodestructive. Mon style grunge est mal perçu ? Qu’importe, désormais je suis anarchiste et l’avis des autres ne compte plus. Je tente de repousser au maximum les limites de ce que mon corps peut endurer, tant que cela ne me demande aucun effort et ne m’oblige pas à me lever. De jour en jour je m’enfonce davantage dans une condition de loque humaine.
Une fois remis de ma peste bubonique, je décide de changer radicalement d’existence. La vie au grand air me tente. Je me mets au sport : je fais de l’aviron et du yoga. Je mange bio et, pour moi, une journée qui ne commence pas par un bol de musli et ne fini pas par une verveine, est un échec terrible. La sophrologie et la pratique de la flûte de pan deviennent mes activités principales à travers lesquelles j’exprime les tourments qui agitent mon âme.
Parfois il m’arrive de me demander si mon combat a un sens, si la société que je rejette mérite l’intérêt que je porte à sa rédemption. Mes contemporains ne saisissent pas le sens profond de mon sacrifice, ils ne peuvent admettre que mon existence soit vouée à améliorer la leur à long terme. Peu importe, nul n’est prophète en son pays et je lutte pour les générations futures.