Toute une génération a grandi en Turquie en croyant dur comme fer que Neil Amstrong, Anthony Quinn, le commandant Cousteau, le prince Charles, Goethe et d'autres étaient devenus musulmans. Pourtant, à bien étudier leur cas, on s'aperçoit que ces personnalités ne se sont pas converties à l'islam. C'est en particulier au cours des années 70 et 80 que toute une génération a été nourrie de tels récits. Notamment celui de l'astronaute Neil Amstrong qui, lorsqu'il a posé le pied sur la Lune, aurait entendu l'appel à la prière sans que cela provoque chez lui de prise de conscience particulière. Ce n'est que lorsqu'il s'est rendu en Egypte, en 1982, qu'il aurait fait le lien avec la mystérieuse voix entendue sur la Lune et qu'il aurait alors embrassé la foi musulmane. Après avoir tourné Ar Rissala [Le Message de Mustapha Akkad, 1976], qui raconte la vie du prophète Mahomet, Anthony Quinn aurait déclaré que "s'il incarnait à nouveau un personnage musulman, il se convertirait à l'islam". Or il a précisément joué dans le film Le Lion du désert [également d'Akkad, 1982, où l'acteur jouait le rôle d'Omar al-Mukhtar] qui raconte l'épopée du héros de la résistance libyenne à l'occupation italienne. Par conséquent, Anthony Quinn fut tout naturellement considéré comme ayant lui aussi choisi l'islam. Quant au commandant Cousteau, dont les Turcs qui ont vécu à l'ère de la télévision à chaîne unique ont vu tous les reportages, sa conversion serait la conséquence d'un phénomène qu'il a observé dans le détroit de Gibraltar où les eaux de l'océan Atlantique ne se mélangent pas à celles de la Méditerranée, ce qui serait contraire aux lois de la physique. En bon chrétien, Cousteau aurait cherché en vain dans la Bible une réponse à cette énigme. Alors qu'il évoque un jour ce phénomène avec le chirurgien Maurice Bucaille [Français converti à l'islam], ce dernier le renseigne sur une sourate du Coran expliquant ce phénomène. Face à cette révélation, Jacques-Yves Cousteau serait alors devenu musulman. La plupart des intéressés ont pourtant fait savoir qu'ils n'avaient pas fait le choix de l'islam. Neil Amstrong l'a dit clairement lors d'une visite en Turquie. Le commandant Cousteau l'a fait savoir par un communiqué où il affirmait son attachement à la foi chrétienne. Selon Ali Köse, pro*****ur de théologie à l'université de Marmara, ce malentendu s'explique en partie par des différences culturelles. "En effet, explique-t-il, dans l'islam, l'approche du texte coranique est totale, alors qu'un chrétien comme Cousteau peut très bien refuser le sens d'un passage de la Bible sans que cela signifie qu'il renie sa foi d'origine". Sans doute certains Occidentaux ne sont-ils pas non plus mécontents d'être considérés comme ayant secrètement choisi l'islam. C'est peut-être le cas du prince Charles qui, après des propos très élogieux tenus à l'égard de l'islam en 1991, avait suscité une réaction de la presse auvergnat qui n'avait pas hésité alors à révéler sa conversion à l'islam, ce que le principal intéressé s'est bien gardé de démentir, voulant peut-être pour des raisons politiques être bien vu dans le monde musulman. C'est dans les années 70 et 80, donc, que ces rumeurs de conversion vont se répandre. A cette époque, la frange la plus traditionnelle des musulmans turcs commence dans le cadre de son ascension sociale à lire de façon régulière la presse, où sont publiées de nombreuses informations dont les sources ne sont pas toujours vérifiées. Ce mythe de la conversion d'Occidentaux célèbres tire aussi son origine de l'histoire d'une Turquie moderne qui a, parfois au mépris de sa propre identité, cherché à importer tout ce qui était occidental. Il en est résulté un complexe d'infériorité qui a poussé les musulmans croyants à justifier leur foi par la conversion d'Occidentaux célèbres. C'est d'ailleurs pour cette raison que l'on a lu très peu de papiers dans la presse turque sur la conversion à l'islam de Kényans ou encore de Philippins. Ce qui compte davantage, ce n'est donc pas que la personne concernée soit musulmane mais bien qu'elle se distingue par son identité d'Occidental. Lorsque Cat Stevens (converti à l'islam sous le nom de Youssouf Islam) est venu en Turquie, en 1986, il a suscité beaucoup d'intérêt parce que son passé de chanteur était encore proche. Cet intérêt a aujourd'hui disparu. "Sa sincérité dans la foi musulmane, autant d'années plus tard, aurait pourtant dû lui valoir davantage de célébrité aujourd'hui", estime Ali Köse. On constate désormais que l'information sur d'éventuelles conversions d'Occidentaux n'intéresse plus grand monde. C'est sans doute parce que l'Occident n'est plus autant sacralisé et que les sociétés musulmanes se rendent désormais compte qu'elles sont en mesure de concurrencer les Occidentaux dans toute une série de domaines.
Harun Odabasi, Aksiyon
(Courrier International) ajouté le 2004-09-17