La question de la petite annonce dans un journal pour trouver un tueur à gages est une bonne question, qui pose plus largement la question de l’auteur intellectuel de l’infraction. Si le meurtre a lieu, celui qui l’a commis est l’auteur matériel de l’infraction. Mais celui qui l’a commandité peut-il être, lui, considéré comme auteur intellectuel de l’infraction ?
Telle n’est pas la solution qu’a choisi le droit français : celui-ci traite l’auteur intellectuel comme un complice « par instigation ». Le droit français choisit de voir que l’instigation, ou la provocation à commettre le crime, a joué un rôle dans la réalisation de l’infraction. C’est le système dit de « l’emprunt de criminalité » : c’est de la commission du meurtre que vient l'illégalité de la provocation à le commettre. Traiter l’auteur intellectuel comme un complice a à priori peu de conséquences pratiques : en droit français, le complice est puni « comme un auteur ». Ca en a cependant quelques-unes :
- En matière de contraventions, la complicité n’est pas admise sauf exceptions : si vous poussez votre copine à se garer sur les clous et que c’est sa voiture, c’est elle et elle seule qui se mange la prune.
- C’est en fonction de l’auteur qu’on apprécie les circonstances aggravantes et la qualification de l’infraction : si vous ordonnez à un sbire d’aller tabasser quelqu’un et de l’envoyer à l’hôpital pour trois mois(violences volontaires) et que la victime est tuée (violence volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner), vous êtes puni selon l’infraction effectivement réalisée.
En gros ce système de l’emprunt de criminalité permet donc une sévérité accrue à l’égard de l’auteur intellectuel. Cette complicité par instigation doit cependant caractériser les trois éléments constitutifs de la complicité.
1)D’abord l’ intention, c’est à dire lavolonté de s’associer à un projet criminel.
2)Ensuite un acte matériel positif de la part du complice: pour l’auteur intellectuel l’article 121-7 alinéa 2 du code pénal dispose que
Est également complice la personne qui par don, promesse, menace, ordre, abus d'autorité ou de pouvoir aura provoqué à une infraction ou donné des instructions pour la commettre.
Cette provocation doit être circonstanciée, accompagnée de circonstances qui la renforcent. Se plaindre au bistrot à voix haute que l’on prie le ciel pour que quelqu’un tue sa belle-mère n’est pas une provocation circonstanciée. Par contre expliquer à un compagnon de beuverie qu’on lui donnera telle somme pour nous en débarrasser et faire un chèque non signé dont le montant est libellé(avec la promesse qu’il le sera une fois le meurtre accompli) en est une.
La provocation doit être directe( l’idée de l’infraction doit être nettement exprimée), et individuelle. C’est là que Stanymall me fait remarquer qu’une provocation à commettre un meurtre dans un journal n’est pas individuelle puisqu’elle s’adresse à tous. C’est vrai, c’est la raison pour laquelle la loi de 1881 vise spécifiquement cette hypothèse, et dispose que si le meurtre a été exécuté, l’auteur de la provocation peut être poursuivi comme complice.
C’est là que le système de l’emprunt de criminalité trouve ses limites : la complicité doit emprunter sa criminalité à un fait principal punissable (ici le meurtre). Si le fait principal n’est pas punissable, ou s’il n’existe pas, pas d’emprunt de criminalité, donc pas de complicité.
C’est la raison pour laquelle la loi s’est mise à créer des délits spéciaux qui rendent délictuels des provocation à des faits non punissables (par exemple la provocation au suicide).
Reste cependant le cas où la provocation n’a pas été suivie d’effet : vous avez payé un meurtrier pour qu’il trucide votre vielle tante à héritage, mais il s’est enfui avec son salaire sans faire le travail, et en plus il vous a dénoncé (le salaud !). Pouvez-vous être poursuivi comme complice d’un meurtre qui n’a pas eu lieu ?
Jusqu’en 2004, la réponse était non. Certes votre acte n’était pas moral, mais il n’était pas illégal. Depuis la loi du 9 mars 2004 dite « Perben 2 » a crée le délit de mandat criminel : c’est le nouvel article 221-5-1 du code pénal qui dispose que :
Le fait de faire à une personne des offres ou des promesses ou de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques afin qu'elle commette un assassinat ou un empoisonnement est puni, lorsque ce crime n'a été ni commis ni tenté, de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 Euros d'amende.
Je pourrai faire de savants développements sur l’application dans le temps de la loi pénale. Qu’il vous suffise de savoir que si les faits ont lieu avant l’entrée en vigueur de Perben 2, on ne peut vous reprocher ce nouveau délit, appelé « mandat criminel ». Si ils ont eu lieu après, cette loi vous est applicable.
Moralité : vous pouvez conseiller sans risque pour vous-même à votre copine de se garer sur les clous ou en double file, mais ne faites pas tuer votre tante à héritage. Attendez qu’elle meure.
"J’appartiens donc à la justice, dit l’abbé. Dès lors, que pourrais-je te vouloir ? La justice ne veut rien de toi. Elle te prend quand tu viens et te laisse quand tu t’en vas."