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Une chanson d'enfants contre l'abus remet en question l'attaque de Milei contre l'éducation sexuelle

Mar Centenera

6-7 minutes

Il y a des petits secrets / qui t'invitent à jouer / Et il y a des secrets si grands / qu'ils viennent te faire peur.

Ces vers font partie de la chanson pour enfants Hay secretos, du groupe Canticuénticos, avec lequel certains enseignants argentins travaillent en classe sur la détection et la prévention des abus sexuels chez les enfants. La semaine dernière, le gouvernement de Javier Milei a retiré cette chanson et d'autres documents sur l'éducation sexuelle intégrale (ESI) qu'il considérait comme « idéologisés » de la plateforme éducative de l'État, mais la réaction sociale l'a contraint à faire marche arrière et à récupérer une partie du contenu. La bataille éducative, menée au milieu des vacances d'été, promet une année scolaire avec de nouvelles attaques contre une politique de l'État en vigueur depuis 18 ans.

Enseignants et spécialistes soulignent que la loi sur l'éducation sexuelle complète, adoptée en 2006, a permis aux enfants de mettre des mots sur des violences auparavant passées sous silence, de réduire les grossesses non désirées chez les adolescentes, de rendre visible la diversité sexuelle et de lutter contre les stéréotypes, parmi bien d'autres réalisations. L'extrême droite, dirigée par Milei, n'est pas d'accord. Elle affirme que l'éducation sexuelle relève de la responsabilité des familles, et non de l'État, et cherche à la supprimer des écoles ou à la réduire autant que possible.

« L'énorme quantité de données scientifiques et juridiques sur la maltraitance des enfants et des adolescents indique qu'environ 70 % des cas de maltraitance signalés sont intrafamiliaux », déclare Mariela Sarlinga, membre du conseil académique du cours de troisième cycle ESI à l'Institut d'enseignement supérieur Joaquín V. González. « Dans ces cas, ce sont les parents, les oncles, les grands-parents, les frères et sœurs et d'autres membres de la famille qui exercent la violence », ajoute-t-elle.

Il y a des secrets légers / qui te font voler / Et il y a des secrets si lourds / qu'ils ne te laissent pas respirer.

Les adultes qui exercent des violences sur les enfants leur disent généralement que c'est un jeu et leur demandent ensuite de se taire, de garder ce secret qu'ils partagent tous les deux. L'ESI est un vaccin contre les abus sexuels : huit enfants sur dix qui le signalent ont réalisé pour la première fois qu'ils étaient victimes de ce crime à l'école, lorsqu'ils ont entendu ce qu'ils ne pouvaient pas leur faire par rapport à leur propre corps, selon le ministère des tutelles publiques de Buenos Aires, qui recueille les déclarations des mineurs dans le cadre des procédures judiciaires contre l'intégrité sexuelle.

En 2021, un juge de la ville de Zapala, dans le sud de l'Argentine, a reconnu le rôle joué par la chanson Hay secretos dans un cas d'abus. Après l'avoir entendue en classe, une élève l'a partagée à la maison et sa sœur a raconté qu'un voisin lui avait offert des bonbons en échange d'un baiser ou d'un attouchement.  D'autres enfants du quartier se sont alors manifestés et ont raconté des histoires d'abus similaires commis par le même homme, qui a été condamné.

Vous n'avez pas à garder / Des secrets qui font du mal / Vous n'avez pas à garder / Des secrets qui font du mal

Lorsque la controverse a éclaté la semaine dernière, le ministère du capital humain - qui dépend du ministère de l'éducation - a fait valoir qu'il avait retiré du portail Educ.ar les documents qu'il considérait comme idéologiques et les avait remplacés par d'autres. « Nous avons choisi un contenu qui n'est pas politisé et qui est basé sur la branche biologique, c'est-à-dire la famille. Ensuite, dans leurs foyers, laissons les familles leur enseigner ce qu'elles veulent, mais l'Etat ne s'immisce pas dans ces choses », ont-ils répondu.

En quelques jours, les réseaux sociaux se sont remplis de centaines de versions de Hay secretos, chantées par des voix d'enfants et d'adultes, et le groupe a reçu de nombreux messages de solidarité. Le gouvernement a fait marche arrière après le contrôle et la chanson de Canticuénticos, le poème En una cajita de fósforos de María Elena Walsh et d'autres contenus supprimés sont réapparus sur la plateforme éducative.

« Nous voulons vous remercier beaucoup pour tout le soutien que nous avons reçu », a déclaré Ruth Villar, membre de Canticuénticos, dans un message posté sur son compte Instagram. « Ce n'est pas la fin de la plainte, ESI est en danger », a-t-elle prévenu, soulignant qu'il est nécessaire de “travailler sur le soin de soi, le respect de la diversité sexuelle et les relations saines”.

Si les mots ne suffisent pas / pour ce qui doit être dit, / inventons un autre langage, / je t'écouterai toujours.

Campagne de désinformation

Les groupes conservateurs se sont toujours opposés à l'éducation sexuelle complète, mais en Argentine, ils n'ont jamais été aussi forts qu'aujourd'hui, avec Milei à la présidence. Pendant la campagne électorale de 2023, le chef de file de La Libertad Avanza a accusé l'ESI d'être « un mécanisme par lequel on déforme la tête des gens ». Sa suppléante, Victoria Villarruel, abonde dans le même sens : « Nous voulons l'éliminer car ce n'est rien d'autre que de l'endoctrinement ». Au cours de ces mois, les façades de dizaines d'écoles ont été recouvertes de graffitis sur lesquels on pouvait lire : « L'ESI, c'est la corruption des mineurs », « L'ESI, c'est la pédophilie ».

Ces slogans faisaient partie d'une campagne de désinformation qui a eu plus d'écho chez les adultes sans enfants d'âge scolaire, selon un rapport du portail de vérification des données Chequeado et de l'équipe latino-américaine pour la justice et l'égalité des sexes (ELA). « Dans les groupes de discussion, il est apparu que les parents dont les enfants reçoivent l'ESI l'apprécient parce qu'ils le considèrent comme un outil de protection contre les maladies sexuellement transmissibles et de prévention des abus, mais ceux qui n'ont pas d'enfants sont plus exposés aux discours qui circulent, comme celui selon lequel l'ESI dégénère les jeunes et les hypersexualise », explique Agustina Rossi, membre de l'équipe politique d'ELA. « Ces fausses informations sont fondées sur des peurs et des préjugés et construisent des récits qui font croire aux gens que l'ESI ne fonctionne pas ».

Graciela Morgade, vice-doyenne de la faculté de philosophie et de littérature de l'université de Buenos Aires, décrit le modus operandi du gouvernement contre cette politique publique : « En 2024, l'année de la tronçonneuse, l'ESI a été défait. Ce que nous voyons à partir de 2025, c'est le contrôle idéologique des contenus à enseigner ». Morgade, membre du mouvement fédéral X más ESI, est optimiste : « Je pense qu'il leur sera difficile de démanteler cette politique parce qu'elle fait l'objet d'un large consensus parmi les jeunes et les familles ». La nouvelle année scolaire en Argentine est dans plus d'un mois, mais ESI promet d'être l'un des protagonistes de la guerre culturelle lancée par Milei.