La parabole du Reflex numérique.
Il y a quelques années maintenant, je lisais assidûment un forum US dédié à la photo numérique. Ce forum a malheureusement aujourd’hui disparu. Celui qui le maintenait a fini par jeter l’éponge. Peu avant que le site ne disparaisse, un des sujets de ce forum a fait grand bruit.
Au départ, il s’agissait d’une question classique de ce type de forum. Quelque chose comme : « Je suis un photographe amateur et j’aimerais passer au numérique, quel appareil choisir ?». L’auteur de cette question, comme de nombreux autres avant lui, décrivait ensuite son profil. Jeune retraité vivant aux US, il avait enfin le temps de se consacrer à sa passion : la photographie. Il voulait donc investir dans un appareil pas trop cher pour se lancer dans la photo. Il décrivait ensuite son amour de jeunesse pour la photo argentique et comment il comptait faire de grandes balades dans la nature pour y photographier ses sujets préférés. Partir en vacances avec son appareil, faire des portraits et également couvrir des événements sportifs ou familiaux.
La première réponse à cette question habituelle a été très rapide. Elle émanait justement de l’administrateur du forum. Un type compétent et respecté, photographe professionnel et fin connaisseur du matériel de l’époque.
Il répondait assez clairement à la question mais d’une manière un peu inhabituelle. Au lieu de proposer des choix d’appareils entrée de gamme à 200 ou 300$ comme l’espérait le jeune retraité, il listait un ensemble de produits : Un reflex pro nu à environ 2000$. Un objectif à 800$ et des accessoires jugés indispensables : sac de voyage, batterie supplémentaire, stockage, etc. Total, quelque chose comme 3000$ ou pas loin.
La réponse du « photographe-retraité-amateur » ne s’est pas faite attendre non plus. Cela ressemblait à quelque chose comme : « J’ai demandé des pistes pour un appareil photo numérique à 200 ou 300$ pour débuter et vous me proposez d’investir 3000$ ! Si c’est pour proposer cela, ce n’est pas la peine de me répondre !»
Et, c’est là que les choses sont devenues intéressantes, l’administrateur du site répondit de manière très argumentée3. Tellement argumentée que sa réponse m’a marqué.
Avec un contexte qui laissait supposer différents usages et une photographie intensive, l’administrateur du forum répondait crûment que conseiller un APN entrée de gamme était une fausse bonne idée. Déclencher sur un appareil à 200$, une photo de sport sur le vif ou un cliché plus calme dans un sous-bois sombre en espérant un bon résultat était totalement illusoire. L’appareil ne tiendrait jamais le choc. Alors, il se mit à prédire au futur utilisateur un scénario complet de son avenir.
Après l’achat d’un appareil à 200-300$, il estimait que le photographe, tout amateur qu’il soit, serait immédiatement frustré par les possibilités offertes par son appareil. Les clichés seraient mauvais, les possibilités de cadrage, de zoom, les ouvertures, les angles et autres fonctions étant quasi nulles à l’époque sur ce type d’engin. Au bout de quelques semaines tout au plus, ledit jeune retraité reviendrait sur le forum pour demander conseil pour l’achat d’un nouvel appareil. Un Bridge à 700-800$.
Il aurait alors la réponse attendue avec un conseil vers les trois meilleurs Bridge du moment dans sa gamme de tarif. Là il trouverait plus de matière à s’amuser. Plus de possibilités également. Mais avec ces fonctionnalités et la créativité qui en découle, il atteindrait rapidement un nouveau plafond de frustration. Cela prendrait peut-être 6 mois ou un an mais cela arriverait de toutes façons.
Le retraité prendrait alors la décision la plus logique. Investir dans un Reflex afin de pouvoir varier les objectifs et avoir un capteur suffisamment sensible pour tout type de photos : Des clichés en lumière crue sur un stade comme des photos plus sensibles. Son budget monterait alors à 1000$ pour le Reflex de base4 et 500$ pour un objectif.
Vous devinez aisément la suite. La prédiction estimait qu’au bout de 24 ou 36 mois, un nouveau plafond apparaîtrait. Si le photographe amateur pouvait le supporter, parce qu’il considérerait que son loisir n’est pas assez important par rapport au budget suivant. Il resterait sur cette position. Si il pensait pouvoir faire mieux et que sa passion l’emportait sur le reste, il investirait alors dans une quatrième solution. A savoir celle proposée au début : un Reflex à 2000$ et un objectif à 800$…
Sauf qu’il y a une grosse différence entre les deux cheminements. Dans le premier cas, le retraité qui écoute le conseil de base d’un investissement direct dans un appareil haut de gamme ne dépense que 3000$ et profite ainsi pendant des années d’un appareil qui ne ralentira ni sa créativité ni son apprentissage. Il y aura certes beaucoup de choses à maîtriser au départ mais le Reflex Pro lui apportera de la finesse et des possibilités créatives quasi illimitées pendant toutes ces années et toutes les suivantes.
En restant sur sa position d’un achat progressif par souci « de budget », il aura sans arrêt des limitations techniques et ratera un nombre incroyable de photos. Non pas par sa faute mais bien parce qu’il n’avait pas de quoi réussir techniquement ces clichés. Mais il dépensera également beaucoup plus d’argent en croyant faire des économies. Si on additionne les 200$ de l’appareil de base, les 800$ du Bridge, les 1000$ du Reflex et les 3000 dépensés au final… on culmine à 5000$ ! 5000$ et beaucoup de temps perdu.
Le jeune retraité n’a jamais répondu à cette longue tirade. L’administrateur a pourtant épinglé sa question sur la page d’accueil du forum et de nombreux lecteurs ont applaudi sa réponse. Se reconnaissant malheureusement souvent eux-même dans le parcours supposé de l’amateur économe.
Pourquoi cette histoire m’a marqué ? Probablement parce que je voyais écrit noir sur blanc un élément que je rencontrais alors au quotidien et qui ne me quitte plus depuis. J’ai du conseiller des milliers de produits informatiques au cours de ma vie. Parce que je suis tombé dans la marmite quand j’étais petit et parce que j’en ai fait mon métier. Et souvent, je me retrouve confronté à ce même raisonnement d’achat. Il faut dire qu’il est parfaitement contre intuitif de croire qu’un appareil plus cher est plus économique.