Sujet : Sama pourra-t-elle se marier un jour?
Sauf si vous habitez dans votre cave avec votre fille, vous avez entendu parler de TGI Lille 1er avril 2008 (et malgré la date, ce n'était pas un poisson).
C'est le jugement du Tribunal de Grande Instance de Lille qui, le 1er avril 2008, a déclaré nul un mariage pour "erreur sur les qualités essentielles de la personne".
Parce que le mari croyait sa fiancée vierge. Qu'il l'a épousée. Et qu'il s'est rendu compte qu'elle ne l'était pas.
Il a demandé la nullité du mariage, et l'a obtenue.
Et on a entendu des hurlements pas possibles, à savoir:
- c'est un recul du droit des femmes!
- c'est une rupture de l'égalité entre hommes et femmes!
- la justice française se couche devant les barbus!
- la non-virginité de la mariée permettra l'annulation de n'importe quel mariage!
etc, etc...
En fait, comme souvent, ceux qui hurlent n'ont en général rien compris. Conclusion provisoire: méfiez-vous des points d'exclamation.
Alors que s'est-il passé?
Pendant des années, les juristes se sont étripés sur la question de la nature du mariage. Etait-ce un contrat, ou une institution?
La réponse, pragmatique, est que le mariage tient un peu des deux concepts.
Donc le mariage est un contrat. Et comme tout contrat, plusieurs éléments sont nécessaires à sa validité.
Le consentement
Parmi ces éléments, on trouve le consentement. Le principe est le suivant: un contrat va créer pour ceux qui le concluent un certain nombre d'engagements. Pour qu'il y ait effectivement engagement, il faut que cet engagement ait été voulu librement.
Un exemple: je passe dans la rue, et un type qui vend des volvo m'attrape par le bras et me dit: "Félicitations, monsieur! Vous êtes l'heureux acquéreur d'une Volvo!"
Je répondrai tout de go "d'une, noli me tangere, connardus,
de deux, je n'ai pas souvenir d'avoir consenti à l'achat d'un tel véhicule, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver, prouve moi que j'ai consenti, petit."
Donc, pas de consentement, pas de contrat.
Pour le mariage, c'est la même chose, l'article 146 du Code civil proclame d'ailleurs:
"Il n'y a pas de mariage lorsqu'il n'y a point de consentement."
La théorie des vices du consentement
Une fois arrivé là, se pose une autre question. Il y a des consentements réels, mais qui ne sont pas libres, pas éclairés, voire ni l'un ni l'autre.
Si par exemple le gars cité plus haut me fait signer un papier duquel je comprends avoir gagné une volvo, alors qu'en fait je l'achète, mon consentement est vicié par une erreur.
C'est la théorie des vices du consentement: le consentement n'est pas valable s'il est atteint d'un vice d'erreur, de violence ou de dol.
On a vu l'erreur. La violence, c'est la contrainte illégitime qui pousse à consentir. Si le vendeur, au volant, avec le moteur qui tourne, me dit "Achète cette volvo où je te roule dessus avec", et bien j'aurais beau avoir signé tous les papiers, ma signature ne vaudra rien du tout si je prouve l'existence de la violence.
Le dol, c'est l'erreur provoquée. On me fait croire que j'achète un mortier en grès pour faire de l'aïoli, et en fait on me vend une volvo dont les sièges sont trop mous pour remplir cet office. Dol.
Mariage et vice du consentement
Le mariage est un contrat, mais pas n'importe quel contrat. C'est une institution qui forme la base de la cellule familiale. Et le droit va veiller à sa stabilité, en empêchant que sa nullité puisse être trop facilement recherchée sur la base d'un vice du consentement.
C'est la raison pour laquelle le dol n'a, en matière de mariage, pas d'influence en lui-même, parce que les juristes, ces soi-disant rêveurs, ont très bien compris que toute séduction implique une part de tromperie. C'est ce que traduit l'adage de Loysel "En mariage, il trompe qui il peut" qui n'est pas un encouragement à l'adultère, mais pose la règle de l'absence de sanction du dol.
De même, toutes les erreurs ne seront pas source de nullité. En fait, selon l'article 180 du code civil
Le mariage qui a été contracté sans le consentement libre des deux époux, ou de l'un d'eux, ne peut être attaqué que par les époux, ou par celui des deux dont le consentement n'a pas été libre, ou par le ministère public. L'exercice d'une contrainte sur les époux ou l'un d'eux, y compris par crainte révérencielle envers un ascendant, constitue un cas de nullité du mariage.
S'il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne, l'autre époux peut demander la nullité du mariage.
J'imagine que ce n'est pas trop la peine d'expliquer l'erreur dans la personne; en gros, c'est l'erreur sur l'identité même de la personne: je croyais épouser sady, j'épouse sama (certains diront, et ils auront raison, que je commettais une erreur dans les deux cas, mais passons).
Par contre, l'erreur sur les qualités essentielles de la personne, le raisonnement est plus fin.
L'idée est que j'épouse une femme, mais qu'il apparaît après coup que ses qualités essentielles diffèrent de ce que j'imaginais. J'avais une perception erronée de la vérité, bref, j'ai commis une erreur.
Sur la base de cette erreur, mon mariage va pouvoir être annulé.
Les qualités essentielles
La question est donc "oui, d'accord, mais c'est quoi ces fameuses qualités essentielles?"
Et c'est toute la question.
On a deux manières de les déterminer: objective, ou subjective.
Avoir une conception objective des qualités essentielles, ça veut dire qu'on va abstraitement imaginer un époux type, et tenter de déterminer quelles qualités l'époux type va rechercher chez son conjoint. Ça implique de s'en tenir à une conception qui ne s'adaptera pas forcément aux désidérata de chacun. Par exemple, mon souhait est d'épouser une femme qui ne se maquille jamais. Aussitôt après le mariage, j'ai le sentiment de me trouver face à un mur en cour de ravalement/ peinture, alors qu'auparavant, mes baisers couraient librement sur la peau nue de son visage. J'apprendrais qu'en fait son sephora était fermé. Drame.
Si la conception objective des qualités essentielles ne retient pas l'absence de maquillage comme trait recherché par l'époux type, je me suis fait eu, je n'obtiendrai pas la nullité de mon mariage.
Une conception subjective des qualités essentielles, c'est au contraire rechercher pour chaque époux quels étaient les qualités recherchées chez l'autre époux. La question difficile est celle de la preuve: il faut prouver le caractère déterminant de la qualité (je n'aurais pas épousé une fille qui se maquille, et prouver que ce caractère déterminant était connu de l'autre.
C'est cette conception que retient la jurisprudence.
Que s'est-il passé à Lille?
Le juge a vu arriver devant lui deux personnes.
Le mari a exposé que la virginité de son épouse avait pour lui la plus haute importance, et qu'il n'aurait pas épousé une femme non vierge s'il l'avait su. Il a demandé la nullité sur le fondement de l'erreur sur les qualités essentielles.
La femme a dit qu'elle était d'accord pour qu'on annule le mariage, et a reconnu qu'elle avait menti sur sa virginité à son époux.
Que fait le juge?
Il dit la chose suivante:
Attendu qu'en l'occurrence, [la femme] acquiesçant à la demande de nullité fondée sur un mensonge relatif à sa virginité, il s'en déduit que cette qualité avait bien été perçue par elle comme une qualité essentielle déterminante du consentement [du mari] au mariage projeté ; que dans ces conditions, il convient de faire droit à la demande de nullité du mariage pour erreur sur les qualités essentielles du conjoint ;
Autrement dit, il se sert de l'accord de la femme pour annuler le mariage (accord sans effet, la nullité du mariage ne peut résulter d'un accord des parties) comme preuve que la virginité était bien pour le mari une qualité essentielle et que la femme en avait conscience.
Du coup, il annule le mariage.
Conclusions
Donc non, ce jugement n'est pas un recul inacceptable pour les droits des femmes, sauf si elles tiennent absolument à se marier avec des barbus rétrogrades.
Et la virginité de l'épouse n'est en aucun cas posée en condition de validité du mariage.
Sama pourra donc se marier un jour. Et ça, c'est flippant.